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Une décision importante sur le savoir traditionnel, l’activité inventive et la moralité publique dans le droit des brevets européen

T2510/18 - Distribuées Aux Présidents Des Chambres De Recours

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Introduction

Dans la décision T2510/18, la chambre de recours de l'Office européen des brevets (OEB) a examiné des questions essentielles concernant la brevetabilité des composés issus de savoirs traditionnels et l’impact de la moralité publique sur l’éligibilité des brevets en vertu de l’article 53(a) de la CBE. Ce cas met en lumière les tensions entre savoir traditionnel, activité inventive et aspects moraux liés au brevetage de produits naturels.

Résumé de l'Invention

La demande de brevet en question, EP 2443126, détenue par l’Institut de Recherche pour le Développement, décrit une molécule connue sous le nom de Simalikalactone E (SkE), extraite de la plante Quassia amara et possédant des propriétés antipaludiques. La demande comprend des revendications portant sur la molécule, une composition pharmaceutique la contenant et un procédé spécifique d’isolement utilisant des feuilles matures et séchées de Quassia amara.

Points Clés de la Décision

Arguments des Opposants
Les opposants, dont la Fondation Danielle Mitterrand - France Libertés, ont avancé les points suivants :

  • Le brevet violait l’article 53(a) de la CBE, en raison de l’utilisation de savoirs traditionnels sans le consentement des communautés indigènes, ce qui était contraire à la moralité publique et aux bonnes pratiques. Ils ont affirmé que ce brevet manquait d’un accord équitable de partage des bénéfices et ne respectait pas les droits des indigènes.
  • La nouveauté de la molécule SkE était mise en doute, en se basant sur des antériorités (documents D2, D3 et D5) décrivant des remèdes antipaludiques traditionnels à base de Quassia amara, suggérant que ces préparations pourraient déjà contenir SkE.
  • L'activité inventive était contestée, car les connaissances sur les remèdes traditionnels auraient réduit l’apport inventif de l’isolement et de l’utilisation de SkE.

Arguments du Titulaire du Brevet
Le détenteur du brevet a soutenu que :

  • L’invention revendiquée ne contrevenait pas à l’article 53(a) car la molécule SkE, isolée et utilisée pour le traitement du paludisme, répondait à un objectif légitime de santé publique et ne nuisait ni à l’ordre public ni à la morale.
  • La molécule SkE était nouvelle, car aucune antériorité ne divulguait explicitement SkE comme un composé distinct ; les documents antérieurs ne décrivaient que des préparations générales de Quassia amara sans identification spécifique de SkE.
  • L’activité inventive était justifiée par le procédé complexe d’isolement et par les propriétés distinctes de SkE par rapport aux autres composés de Quassia amara, démontrant un haut niveau d'innovation et une contribution pratique à la médecine.

Analyse et Conclusion de la Chambre

  • Sur la Moralité Publique (Article 53(a) CBE) : La chambre a conclu qu'il n'y avait pas de base suffisante pour considérer que l’exploitation commerciale de SkE comme médicament violerait la morale publique ou les bonnes pratiques, notamment en l’absence de preuve de préjudice direct aux communautés indigènes ou à leurs pratiques. S’appuyant sur la jurisprudence, notamment la décision T 356/93, la chambre a précisé que l’exclusion des brevets selon l’article 53(a) concerne l’exploitation commerciale de l’invention et non les méthodologies de recherche utilisées.
  • Sur la Nouveauté (Article 54 CBE) : La chambre a reconnu la nouveauté de la molécule SkE, estimant que les antériorités n’avaient pas divulgué SkE, ni explicitement ni implicitement. Bien que SkE puisse être présente dans des extraits traditionnels de Quassia amara, elle n'était ni identifiable ni accessible sans effort inventif, préservant ainsi sa nouveauté.
  • Sur l’Activité Inventive (Article 56 CBE) : La chambre a validé l’activité inventive, en mettant en avant le procédé d’isolement spécifique de SkE et son efficacité thérapeutique, dépassant les connaissances générales des remèdes traditionnels. Les méthodes détaillées d’extraction et de purification ont été jugées inventives, et la molécule isolée a présenté un potentiel antipaludique unique, non évident à partir des connaissances existantes.

Enseignements à Retenir

Respect du Savoir Traditionnel
Cette affaire met en avant l'importance d'obtenir le consentement et de reconnaître le rôle des savoirs indigènes, en particulier lors de l'accès aux ressources biologiques des communautés locales. Bien que l’OEB évalue la brevetabilité principalement sous l’angle de l’exploitation commerciale, les demandeurs devraient envisager des partenariats avec les groupes indigènes et des accords équitables de partage des bénéfices pour renforcer les aspects éthiques de leurs demandes.

Moralité Publique et Droit des Brevets
La décision T 2510/18 clarifie que pour qu'une invention soit exclue en vertu de l’article 53(a), son usage commercial doit intrinsèquement enfreindre la morale publique ou l’ordre public. Cette décision renforce une interprétation stricte de l’article 53(a), se concentrant sur l’impact commercial de l’invention plutôt que sur la méthode de recherche adoptée par le demandeur.

Activité Inventive et Nouveauté dans les Composés d'Origine Biologique
Pour les brevets basés sur des produits naturels, des méthodes explicites et précises d’isolement et de caractérisation sont essentielles pour établir la nouveauté et l’activité inventive. Cette décision illustre le seuil élevé requis pour contester la nouveauté, notamment lorsque les composés sont hypothétiquement présents dans des formulations traditionnelles sans preuve d’accès ou de divulgation directe.

Standards de Documentation et de Preuves
La décision souligne l'importance de preuves substantielles dans la contestation de la nouveauté, en particulier pour les composés dérivés de plantes traditionnelles. Les opposants doivent fournir des preuves analytiques claires de l’existence du composé revendiqué dans l'état de la technique pour argumenter avec succès un manque de nouveauté.

Conclusion

La décision T 2510/18 rappelle aux demandeurs de brevets l’interaction complexe entre droit des brevets, éthique et savoir traditionnel. Elle fournit également des indications précieuses sur l'importance des preuves et de la précision dans les brevets impliquant des ressources biologiques et naturelles. Ce cas souligne la nécessité d'une documentation rigoureuse dans les litiges et recommande une approche prudente pour appliquer les restrictions liées à la moralité publique en vertu de l’article 53(a).

Lien vers le dossier : ICI 

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Avertissement juridique

Les informations fournies dans cet article de blog sont à des fins d'information générale uniquement et ne constituent pas un avis juridique. Le résumé et l'analyse de l'affaire de l'OEB sont basés sur des informations disponibles publiquement et visent à offrir des perspectives sur la décision et ses implications. Ce contenu ne doit pas être utilisé comme substitut à un avis juridique professionnel adapté à votre situation spécifique. Pour des conseils relatifs à des questions juridiques spécifiques sur le droit des brevers, vous devez consulter un conseil en propriété industrielle ou un avocat qualifié.